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Cette semaine, mon profil LinkedIn a été visité huit fois. Ni plus ni moins. Huit, dont une par Europcar, si j’en crois le logo vert dessiné au côté d’autres grandes enseignes sans doute elles aussi, à la recherche d’une autrice de mon genre. Je suppose que le grand patron, appelons le Frank Delbos, est arrivé un jour à la réunion hebdomadaire du jeudi matin, et a annoncé, avant même de saluer son équipe : trouvez-moi la meilleure autrice sur le marché ! Je veux la meilleure, la Marguerite Duras d’aujourd’hui, est-ce que c’est bien clair pour tout le monde ? Une heure plus tard, Fabrice, directeur des ressources humaines qui fêtera ses 10 ans d’ancienneté chez Europcar dans à peine un mois, plongeait tel un seul homme dans sa banque de données LinkedIn, à la recherche de la perle rare et, de fil en aiguille, se trouva visiter mon profile. Par visiter mon profile, j’entends entrer dans un monde à part entière. Car on visite mon profile comme une galerie aménagée, je ne dirais pas en compartiments, mais plutôt, en « ambiances », à l’image de mon parcours à la fois tranquille et atypique. Frappé par la singularité de mes expériences, Fabrice m’aurait donc envoyé un email succinct, présentant les avantages de l’entreprise, et me priant de bien vouloir me présenter à leur siège au plus vite. Me voici donc, un mardi matin, assise dans le RER B, en direction de Masson la Vallée.
Après quelques longues minutes d’errance entre des bâtiments grisâtres mais néanmoins modernes et reluisants, une employée fumeuse parvint à m’indiquer la route. Le grand Franck se trouvait alors probablement en bras de chemise, posté derrière la grande vitre de son bureau du 15è étage, m’observant zigzaguer parmi les allées, entrer dans un immeuble avant d’en ressortir aussitôt, chaque fois plus épuisée, plus décoiffée et, tirant paisiblement sur son cigare se dire : pour une autrice, elle n’a pas l’air bien maline celle-là…
Après avoir annoncé fièrement que j’avais rendez-vous avec Monsieur Delbos en personne, on me pria de patienter un instant au bout de la main d’une femme déguisée en Logo Europcar, main au bout de laquelle je pu apercevoir un fauteuil dessiné pour évoquer l’entreprise (en maille mousseuse bleu Roi). Je pu enfin reprendre mes esprits et mon souffle, avant de me recoiffer en passant mes doigts délicats sur mon crâne humide à force de m’être débattue dans les méandres du grand Capital. C’est alors que j’entendis les talons de la secrétaire de Mr Delbos faire résonner l’immensité du lieu. Je ne savais pas qu’Europcar était si puissant annonçai-je à la femme pour montrer mon intérêt, me disant, pile au même instant, que zut, j’aurais dû garder ces mots pour son patron. Contrairement à moi, l’assistante a déjà son badge, qu’elle ne porte pas autour du cou comme une vulgaire stagiaire, mais négligemment enroulé autour du poignet puisqu’elle ne se soumet pas à s’abaisser vers le bouton de l’ascenseur pour l’actionner non, depuis le temps, elle sait qu’il faut tenir son badge non comme une laisse, mais comme un passe-droit. Nous montons au 4ème, je suis un peu déçue par le chiffre, je me prends à me demander qui sont les supérieurs de Franck qui m’a déjà l’air très haut placé. Mais nous arrivons elle et moi sur un nuage : moquette beige, ambiance feutrée, sourires allant et venant d’employés heureux de leur sort qui me saluent du haut de leur mépris teinté de bienveillance - c’est du moins ce que je crois mais, ayant récemment été diagnostiquée avec un trouble de la personnalité borderline, j’ai dû me vouer à l’évidence, mes interprétations sont souvent défaillantes. Franck est ravi de m’accueillir dans ses locaux m’annonce-t-il. Vous pensez m’accueillir dans vos locaux ? Demandais-je. Là, vous êtes dans mes locaux oui. À l’intérieur de vos locaux ? Mais qui est-ce que vous appelez vos locaux, insistais-je ? Vos employés ? Vous voulez dire, des locaux de l’entreprise, des hommes et des femmes à ce point imprégnés de la culture d’Europcar que vous en venez à les appeler des locaux ? Et moi, vous êtes ravie de m’accueillir à l’intérieur d’eux ? Etais-je vraiment la nouvelle Marguerite Duras ? Se demanda Franck Delbos à cet instant. Sans oser me poser la question, il m’attrapa par le bras et me raccompagna à l’ascenseur. Mais je savais, au plus profond de mon être, qu’il venait probablement de passer à côté d’une de ses plus précieuses employées.
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