L’autre jour j’ai vérifié si je n’avais pas d’appels en absence en jetant un œil rapide sur ce qui était en réalité le dos grattant d’une éponge verte posée dans ma cuisine. Je n’avais donc, aucun nouveau message. Comme je venais de rompre avec mon époux - il m’arrive de rompre assez régulièrement comme souvent, chez les personnalités borderline – je suis sortie, de rage, pour rejoindre une camarade atteinte des mêmes symptômes. Une fois confortablement installée dans le métro, une voix masculine a tenté de nous informer : Attention ! Mesdames et Messieurs, si vous transportez une trottinette… Mais il a immédiatement été coupé par une autre voix, féminine cette fois-ci, parlant beaucoup plus fort pour annoncer la station. L’homme a repris la parole quelques secondes plus tard. Attention ! Mesdames et Messieurs, si vous transportez une trottinette… Odéon ! Odéon ! Hurla à nouveau la femme, incapable de laisser le pauvre homme finir sa phrase. J’ai pensé que pour une fois, ça n’était pas rien qu’une femme interrompe un homme, que la RATP avait appris de ses erreurs, que les choses étaient enfin en train de bouger en matière de féminisme dans les transports en commun. J’ai sorti mon éponge de mon sac, toujours aucun message. À cet instant, alors que j’avais mon casque sur les oreilles pour tenter de pallier le réel, la playlist partagée avec mon fils de quatorze ans (qui venait de m’envoyer un message en me demandant si je connaissais le roman « Braqueur contre le pacifique » ) a choisi de me proposer un morceau particulièrement intense de Gazo. J’ai senti l’intégralité du wagon me fixer (Les personnalités borderline sont souvent persuadées d’être le centre de l’attention). Un homme m’ a même regardé avec un dédain insistant. Il était également fort possible que cet homme me reconnaisse, ayant lu l’un des mes nombreux romans, et m’en veuille pour une raison ou une autre. Jamais à court d’idées pour enquêter sur les inconnus, j’ai donc sorti mon téléphone pour vérifier si je ne trouvais pas un de mes livres sur le Bon coin, mis en vente par l’homme en question. Je me suis trouvée, avec pour description “ Pratiquement aucune trace d’usage ”. J’ai retiré mon casque pour retrouver le monde, et j’ai entendu ma voisine dire qu’elle venait de voir « passer un mail ». J’ai regardé autour de moi si je ne le voyais aussi, mais rien. Je me suis demandé si j’avais bien toutes mes capacités intellectuelles : la veille, j’avais entendu une autre femme dire qu’elle cherchait des Loco (comme moi) et une autre, parler de bailleur social et je me suis immédiatement figuré un homme épuisé par le monde. Fatiguée à mon tour de devoir supporter tous ces contresens mentaux, je suis sortie au plus vite à l’air libre sans rejoindre mon amie atteinte des mêmes symptômes, qui venait de m’envoyer une capture d’écran de mon époux, tout juste inscrit sur une application de rencontres. Il s’était renommé Roman, s’était pris en selfie dans notre salle de bain, on apercevait derrière lui les brumes odorantes hors de prix de ma fille et mes brossettes interdentaires. Il avait également indiqué ses préférences en matière de musique et j’appris, à ma grande surprise, qu’il était fan de Latin jazz. Étant moi-même une immense fanatique de jazz, j’ai donc créé un profil sur cette même application pour tenter de rentrer en contact avec lui, et pourquoi pas le rencontrer autour d’un bon verre de vermouth, dans un club jazzy où nous pourrions nous adonner lui et moi à notre passion commune. Je suis donc retournée chez moi afin de me prendre en photo dans la salle de bain, et me suis mise à sa recherche. Comme nous étions tous les deux de « nouveaux membres » nous avons vite matchés. J’ai demandé à mon époux s’il passait une bonne journée. Je précisais que j’étais intéressée par son profil car, même s’il n’était pas tout à fait mon genre physiquement, j’avais moi aussi une passion pour le Latin jazz. Quels étaient ses artistes préférés, et si oui, pourquoi ? Il m’apprit à cet instant, qu’il avait décidé de prendre un chat. Que nous pourrions lui et moi aller le chercher dans la semaine dans un refuge, un chaton abandonné qui pourrait sans doute contribuer à apaiser la vie au foyer. J’ai accepté. Il faudra qu’on lui trouve un prénom m’annonça Roman. Oui, il faudra. Et j’ai tout de suite trouvé. On allait appeler notre chat, un chat.
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J’ai éclaté de rire trois fois. Très peu de textes me font cet effet-là ! Merci Pauline Klein, soigneuse de seum en intermittente du pestacle.
Génial, en tout cas j'adore te lire, ça me fait le même effet que lorsque j'ai découvert à la vingtaine Boris Vian et le dévorait (ses livres!)