La différence entre ici et là-bas, c’est qu’ici, j’ai le sentiment d’écrire pour des personnes qui existent vraiment. “Ici” c’est ici, et “ là-bas” l’écriture d’un livre. J’ai commencé à écrire mon premier roman lorsque j’avais neuf ans. Ça s’appelait Mademoiselle de Lognac et c’était l’histoire d’une femme très riche et très débordée en manteau de fourrure. Mademoiselle de Lognac apparaissait un beau matin, sautait dans un taxi et hurlait au chauffeur : Suivez cette voiture ! Je faisais, comme encore aujourd’hui, énormément de fautes d’orthographe - ma mère m’avait emmenée voir une psy spécialement pour ça, j’avais écrit Édit de Nantes “Eddy de Nantes” et elle s’inquiétait - mais ce roman est resté à un stade embryonnaire malgré sa qualité pour une seule raison : j’ignorais à l’époque que les livres devaient être imprimés avant d’être publiés. Je m’appliquais donc, pour chaque mot, chaque phrase, à écrire en imitant au plus près les caractères d’imprimerie, si bien qu’au moindre tremblement, à la moindre rature, je devais tout recommencer, débutant inlassablement mon premier chapitre : Comme chaque matin, Mademoiselle de Lognac sorta de chez elle pour se diriger vers sa voiture, etc. Des années plus tard, lorsque j’ai publié mon premier roman, j’étais surtout heureuse pour la petite fille qui traçait des traits maladroits pour tenter de les faire ressembler à une page de roman. C’est à elle que je pensai lorsque mon éditeur me tendit le tout premier véritable exemplaire de mon livre, celui qui faisait vrai. Dans le fond, c’est ce premier roman qui m’a donné la possibilité de dire, et non l’envie de dire qui m’a donné l’a possibilité d’écrire ( je ne comprends pas non plus très bien ce que cette phrase signifie, mais c’est le genre de chose qu’on dit quand on devient écrivain). Mais tout de même, devenir écrivain au mois d’août 2010, m’a dessiné une identité. Du jour au lendemain ou presque, j’ai obtenu le droit de jouer à nouveau, j’ai retrouvé comme disait Nietzsche, « le sérieux que l’on mettait dans les jeux d’enfants ». (on fait ça aussi). Le problème, c’est que j’ai perdu ce sentiment en cours de route. J’ai cru qu’être un écrivain, était une position sociale et j’ai fait des raccords plus ou moins cohérents. L’impression de devenir soi s’est paradoxalement accompagnée d’injonctions paralysantes. Mes insomnies sont devenues des manières, parce qu’un écrivain se lève tôt pour écrire, mon lien au monde s’est figé dans la narration, parce qu’un écrivain est incapable de vivre vraiment sa vie sans essayer d’en extirper de force des histoires racontables, et je suis devenue un être extrêmement pénible pour les autres comme pour moi-même. Ici, je peux donc retrouver un peu de cette naïveté, un peu de cette spontanéité claire, et cesser de me demander si je vais être invitée à la Grande librairie et avoir le prix Goncourt.
Cette spontanéité s’accompagne néanmoins d’une légère peur, parce que j’identifie assez bien certains lecteurs potentiels. Ma mère, mon éditrice, certaines amies autrices plus sérieuses que moi, des journalistes ou encore quelques noms que j’ai reconnus en ouvrant le mail qui apparait sur mon écran (Maman ! T’as un nouvel abonné ! Hurle mon fils plein d’espoir lorsqu’il regarde un film sur mon ordinateur) et à qui je destine potentiellement ces mots. Lorsque j’écris un livre, je ne pense à personne ou presque : là, si. Dans le milieu de la littérature, à Paris, on doit se comporter. On ne plaisante pas - pas véritablement - avec l’écriture. C’est une affaire sérieuse. Douloureuse. On ne peut plus se baigner tranquillement sans avoir un “ rapport aux profondeurs et à l’eau”, on ne peut plus avoir perdu son père sans écrire un livre enquête sur cet homme mystérieux, bref, c’est épuisant. On doit faire dans le poignant, on n’écrit pas une News letter, on ne dit pas “vous” en s’adressant à son lecteur. Comme dirait Diane Tell, on ne fait pas ces choses-là. Je vais donc le faire tout de même, et sans doute ouvrir un chat lorsque j’aurais compris comment ça marche, pour vous proposer deux sujets que je peux traiter selon vos désirs : quelques suggestions anarchistes vraiment pratiques pour éviter de payer certaines choses, ou bien des conseils pour ne plus prendre l’amour au sérieux et sortir gagnant de vos histoires sentimentales. En attendant, vous pouvez m’écrire un message par email sur pkpk5@yahoo.com, et me poser une question sur ce que vous souhaitez obtenir (presque) gratuitement : des choses dont vous n’avez pas vraiment besoin, ou encore vos courses en grande surface, un accès au musée ou au cinéma, ou bien toute autre question d’ordre sentimental. J’en choisirai une au hasard sans tricher, à laquelle je répondrai du mieux que je peux. Je vous en donne ci-dessous un aperçu, pour vous prouver ma bonne foi.
Depuis que j’ai découvert – tardivement – la série Hippocrate, je suis convaincue que je suis médecin. Je me sens capable de faire un diagnostic, de réanimer, de faire une ordonnance compatible avec des symptômes. Un peu comme lorsque je suis devenue écrivain, je suis entrée dans le rôle. Je marche dans la rue avec le sentiment de pouvoir sauver des gens, j’écoute mes amis me parler de leurs maux et émet des hypothèses médicales avec une totale assurance. J’ai donc utilisé cette nouvelle aptitude pour ne pas payer la totalité de mes courses. Une fois à la caisse, je garde mes écouteurs dans mes oreilles et les trois quarts de mes produits dans mon cabas. Je n’en sors que quelques uns et, pendant que je range ce qui va être payé avec ce qui ne le sera pas, je fais comme si je parlais à une secrétaire médicale ou une infirmière (IDE) à l’affût de mes nombreuses connaissances et je dis : Mais qui a fait l’ordonnance ? (Je glisse des pommes dans mon sac) Mais enfin je l’ai mise sous Augmentin il y a trois jours ! (J’ajoute mes yaourts), Attendez mais c’est ahurissant… (je sors ma carte bleue, happée par mon urgence et totalement désintéressée par ce qu’il se passe devant moi), Mais elle a de la fièvre là ??? Je paye, désinvestie, tendue entre inquiétude et sidération, puis quitte les lieux au plus vite pour sauver ma patiente, je poursuis ma conversation avec l’hôpital dans la rue, au cas où, en serrant mon butin contre ma hanche. Voilà. La série est disponible sur Canal plus (il est possible d’obtenir l’abonnement gratuitement). L’important est d’avoir l’air crédible, mais si vous voulez vous amuser, vous pouvez mimer une réanimation par téléphone et ordonner d’injecter un gramme d’adré au plus vite, avant de hurler « on déchoque ! ». Vous verrez que personne n’osera vous interrompre. Vous pouvez donc me faire confiance pour vous prodiguer de bons conseils de vie. N’hésitez pas à m’écrire, j’ai des solutions pour vous faciliter l’existence.
Moi chez Maison Martin Margiela en 2016, écrivain en blouse blanche.
Tu soignes en nous écrivant, Pauline.
Ahahahaha c'est génial!!